L'album de Tamamura Kōzaburō, un album d’un grand studio de Yokohama shashin

Un album représentatif du studio de Tamamura

La plupart des albums commerciaux de Yokohama shashin – le marché de la photographie souvenir coloriées pour les visiteurs - ne comportent pas de signature ou de tampon qui permettrait d'attribuer ceux-ci a priori. C'est ainsi le cas de celui-ci, mais il présente la particularité exceptionnelle d'avoir été conservé dans sa boîte en carton entoilé originale, qui protégeait l'album et ses précieux plats laqués lors du long voyage retour des visiteurs. Ainsi, le nom du photographe, qui n’apparaît nulle part dans l’album, est inscrit sur le couvercle de la boîte. On lit sur la toile décorative qui recouvre la boîte, écrit uniquement en caractères occidentaux, « K. Tamamura », dans un blason ovoïde en grisaille flottant sur un nuage devant lequel apparaît une grue japonaise (tsuru), oiseau auspicieux par excellence. Ce blason est d’ailleurs répété plusieurs fois, tête-bêche. Il s'agit ainsi d'un album de Tamamura Kōzaburō (玉村 康三郎, 1856-1923?), l'un des photographes de Yokohama les plus productifs et les plus prospères. Notons que son fils, également photographe, Tamamura Kihei (玉村騎兵衛, c. 1880-1951), avaient les mêmes initiales et « K. Tamamura » pourrait prêter à confusion, mais la datation de l’album a permis de lever l’ambiguïté.

D’autre part, la majorité des épreuves de cet album comporte un cartouche sur fond noir avec une légende en anglais et une numérotation en chiffres occidentaux. Une bonne partie de cette numérotation a déjà été recensée par Terry Bennett comme provenant du studio de Tamamura dans son ouvrage de référence Old Japanese Photographs1.

Sur le tissu bleu de Prusse de la boîte de protection sont également reproduits des petits personnages caricaturaux dessinés dans un style qui n'est pas sans rappeler les peintres contemporains Kawanabe Kyōsai (河鍋暁, 1831-1889) ou Kobayashi Kiyochika (小林 清親, 1847-1915). Les personnages représentés : danseuse avec un éventail, samouraï déguisé, battage du mochi, courtisane fumant le kiseru, évoquent les scènes de genre que renferme ce genre d’albums. On note même une figure un peu grivoise : une jeune femme est allongée sous un futon, le visage rieur, sein nus et fait signe d’approcher, dans la posture du célèbre maneki-neko (« le chat qui invite »), une statuette de chat porte-bonheur que l'on trouve aujourd’hui fréquemment dans les devantures des magasins et à partir de Meiji à l’entrée des maisons closes pour remplacer les anciens talismans érotique, interdits par le nouveau gouvernement2.

L’album lui-même est relié en style occidental avec un dos en cuir et un plat de couverture en laque rouge sur bois sur lequel est dessiné un paysage avec un cerisier dont les fleurs surdimensionnées peintes en argenté remplissent toute la partie supérieure de la composition. A côté du cerisier poussent quelques fleurs de chrysanthèmes et en second plan trois grues cendrées, un oiseau porte bonheur déjà présent sur la boîte de protection de l’album, suivies de trois oisillons. Au pied de l’arbre coule une rivière qui comme le cerisier rappelle le style d’Ogata Kōrin (尾形 光琳, 1658-1716). Les décors floraux sur fond de laque rouge étaient fréquents pour les albums vendus par le studio Tamamura.

Les plats laqués de Tamamura sont plus sobres que ceux des autres grands studios de Yokohama Shashin, aussi bien dans les motifs avec leurs décorations raffinées d’insectes et de fleurs (kachō 花鳥) plutôt que les habituels clichés japonisants à base de mont Fuji, geishas et jinrikisha, et dans les matières avec un « simple » dessin argenté sur laque sans relief, insertion d’ivoire ou de nacre, ou photographie sur laque.

Cet album n’a pas de dédicace et l’on ne connaît pas son premier propriétaire. Il n’est pas daté, mais il renferme une épreuve de l'hôtel Fujiya à Miyanoshita (Hakone) qui a pu être datée précisément, n’ayant pu être prise qu’en 1891 alors que des travaux de modernisation de l'hôtel venaient tout juste d'être achevés mais avant que les nouveaux travaux soient commencés dès 1892. Cet album date donc des années 1890.

Si l’ensemble de l’album provient du studio Tamamura, notons tout de même une épreuve d’une photographie « empruntée », qui a été prise vers 1872 par le célèbre Uchida Kuichi (内田 九一, 1844-1875), le photographe officiel de l’empereur Meiji. Il s’agit de l’épreuve no 26 (AP15911), sans titre dans cet album mais que l’on reconnaît comme étant le jardin du prince Hotta, dans le quartier de Mukojima à Tōkyō. Ce jardin promenade de style « kaiyūshiki » (回遊式) était connu comme l’un des plus beaux jardins de Tōkyō que l’architecte anglais Josiah Conder décrivait au passé dans Landscape gardening in japan publié en 1893 comme « one of the most elaborate city gardens ».

La présence de cette épreuve d’un autre photographe connu dans cet album provenant du studio de Tamamura s’explique pour deux raisons :

- quand Tamamura ouvrit son studio de Benten-dōri à Yokohama en 1883, ce superbe jardin n’existait déjà plus et il n’a pas pu le photographier pour son propre portfolio. Il a donc utilisé une photographie prise antérieurement, appartenant à la seule série connue sur ce jardin, que l’on peut attribuer avec certitude à Uchida Kuichi.

- Uchida, après une courte carrière flamboyante – les geishas et les acteurs de kabuki connus affluaient dans son studio, il était reconnu par les Occidentaux comme « the best photographer in Japan » – décéda subitement de la tuberculose à 31 ans le 17 février 1875. Cela entraîna la dispersion de son œuvre, dont le fonds fut partiellement récupéré par Kusakabe Kimbei. Quelques-unes de ses épreuves – comme la courte série sur le jardin Hotta – furent incorporées dans leur portfolio par de nombreux photographes. Cette photographie a été ainsi réutilisée par Tamamura, Kimbei, Farsari, Ogawa et plusieurs autres studios non encore attribués. Aussi Tamamura n’a-t-il pas inclus dans cette épreuve le cartouche noir et la numérotation qui lui était propre et qui lui servait de « copyright ».

Cette exemple montre bien à quel point la compétition était vive entre les photographes de Yokohama travaillant pour la clientèle touristique (Yokohama shashin). De 1865 à 1880 le nombre de clients potentiels était passé de quelques centaines à des dizaines de milliers. Dès les années 1880, avant même d’avoir débarqué sur le sol japonais les visiteurs sont submergés de photographies souvenirs. Ainsi, quand la suissesse Cécile de Rodt arrive au Japon par le port de Nagasaki, avant même d’avoir accosté, des marchands montent à bord, elle note « Comment résister à l’envie d’acheter ces images de la vie et des sites nippons, si jolies, si délicatement colorées ? D’un goût très artistique, elles ont l’avantage d’être fort bon marchéa href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">3. »

En 1881, il y a déjà à Yokohama 10 studios photos tenus par des japonais en activité. Tamamura ouvre un studio au No 2, Benten-dōri 1-chōme en 1882 et se spécialise dans la photographie touristique (Yokohama shashin) dont il devient l'un des studios les plus importants produisant de luxueux albums laqués de vues coloriées du Japon, des peintures et des vues pour lanterne magique qu'il exporte. Dans les années 1880 son studio devient le plus important, avec celui de Kusakabe Kimbei d’un marché qui avait été dominé dans les années 1870 par Stillfried and Andersen et par Felice Beato dans les années 1860.

Ainsi, dans la collection de Guimet il est le photographe le plus représenté après Kimbei, ses albums totalisant 1263 épreuves contre 1338 pour Kusakabe Kimbei. Viennent ensuite le studio de Stillfried and Andersen (594) à égalité avec celui d’Adolfo Farsari (592) puis ceux d’Enami (488) et Felice Beato (367)4.

Composition de l’album

La composition de l’album suit clairement l’itinéraire du visiteur. L’album commence par une vue de Nagasaki ou celui-ci a du accoster depuis Shanghai en venant d’Europe, puis un panorama de Kōbe, l’escale suivante sur la route maritime et des vues d’Ōsaka et de Kyōto, étapes facilement accessibles en train dans les années 1890 depuis Kōbe5. Après cette visite rapide du Kansai (Ouest du Japon), une vue du mont Fuji depuis les célèbres plantations de thé de Shizuoka (épreuve no 12 AP15897) annonce la transition avec le Kantō (Est du Japon). Une belle vue de mont Fuji enneigé est indispensable dans tout album souvenir du Japon, mais le propriétaire de cet album n’a probablement pas vu Shizuoka, alors excentré par rapport aux circuits touristiques classiques. En effet, la plupart des voyageurs ne visitaient que les ports et les endroits accessibles par train, et le réseau de train alors limité mais supérieur aux anciennes routes. Ceci entraîna le déclin de nombreuses villes étapes intermédiaires, un phénomène qui ne se limitait pas au Japon comme le fait remarquer la suissesse Cécile de Rodt en passant justement à Shizuoka :

« Mes deux coureurs m’amenèrent au galop à Shizuoka, après avoir passé devant le temple de Seikenji et traversé Ejiri, type de ces villes de province florissantes à l’époque où le Tokaido était l’unique route du Japon. Elle partage le sort de nos localités restées en dehors des voies ferrées : importantes et très fréquentées au temps des diligences, elles paraissent abandonnées à présent, et la vie y est restée stationnaire6. »

Les neuf épreuves suivantes ont été prises dans les environs de Yokohama où le voyageur a du débarquer depuis Kōbe. Yokohama, dernière étape maritime du voyage au Japon et de loin le plus important des ports en exterritorialité, est bien représenté par deux vues de la ville et par les excursions avoisinantes facilement accessibles en un ou deux jours de cheval ou de jinrikisha : Enoshima, Kamakura, et Hakone, représenté par une vue du confortable hôtel Fujiya à Miyanoshita conçu pour une clientèle étrangère aisée et une vue de la toute nouvelle route qui y menait.

Yokohama a souvent été présenté comme un pastiche de ville occidentale sans charme mais c’était une vraie ville internationale non dépourvue d’intérêt. Cécile de Rodt la décrivait ainsi :

« Bien que Yokohama soit la ville la plus européenne du Japon, elle offre à l’étranger une source inépuisable d’étonnement et d’intérêt. Je ne me lassais pas d’en parcourir les rues, ou de me promener sur le bluff, colline boisée qui domine la cité, et sur le versant de laquelle les villas des Européens s’étagent dans la verdure7. »

Depuis Yokohama, Tōkyō et Nikkō étaient accessibles en train. De Tōkyō nous voyons le nouveau parc d’Ueno, témoin en creux de la guerre civile de Boshin de 18688, et les grands mausolées des shogouns Tokugawa à Shiba et Ueno, aujourd’hui quasiment disparus. Enfin, pour dernière grande excursion du voyage, la visite des mausolées de Nikkō, depuis le 16 juillet 1885 le train de Tōkyō déposait les voyageurs dans la nouvelle gare d’Utsunomiya après un trajet de cinq heures. De là, ils finissaient le voyage en une journée de jinrikisha en empruntant l’ancienne route Nikkō kaidō. Le site de Nikkō est bien documenté avec huit épreuves, la série la plus longue de cet album. Il est vrai qu’au xixe, bien avant Kyōto, Nikkō était la première destination touristique au Japon. Le toulousain Georges Labit remarquait ainsi dans les souvenirs de son voyage de 1889 que « les grands voyageurs […] ont placé Nikko au-dessus de tout ce qu’ils avaient vu en parcourant le monde9 ». Un de ses hôtes de Yokohama ajoutait même « qui a vu Tokio et Nikko a tout vu [du Japon]. »

Si le déroulé de l’album est sans surprises dans l’itinéraire et les lieux représentés, le choix des épreuves l’est moins. Dans le catalogue de Tamamura, le voyageur pouvait choisir entre des dizaines de vues pour un même lieu10. Ainsi, pour le Kiyomizu-dera, à Kyōto (épreuve no 7, AP15892), le propriétaire de l’album a préféré montrer uniquement la rue commerçante de Sannen-zaka qui mène au temple avec ses boutiques de souvenirs où il a du « bibeloter » - déjà une des attractions préférées des touristes à l’époque - plutôt qu’une des vues spectaculaires mais connues de ce superbe temple.

De même, à Kamakura, il préfère une vue lointaine du sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gū (épreuve no 17 AP15902) plutôt que ses pagodes ou le magnifique ensemble architectural à flanc de colline avec son escalier monumental. Le voyageur a-t-il choisi de nous montrer ses premières impressions, son désintérêt pour la profusion de temples ou au contraire, sa frustration de n’avoir pas eu le temps de visiter cet ensemble, peut-être juste entraperçu sur la route du grand Bouddha (Daibutsu), tout proche que nous découvrons à la page suivante de l’album. Le circuit Kamakura – Daibutsu – Enoshima était une promenade agréable que l’on pouvait boucler dans la journée depuis Yokohama, mais en allant vite…

La deuxième partie de l’album est consacré à des portraits et scènes de genre, selon le découpage classique « views and costume » des albums de voyage. Se succède une série de portraits de femmes japonaises. Les hommes sont absents de cette galerie. Les samouraïs ont désormais disparus et les uniformes occidentalisés des militaires et fonctionnaires n’intéressent guère les visiteurs. Celui-ci n’a pas non plus retenu d’épreuves de religieux, bonzes, prêtres shintō, pèlerins, qui sont également absents de cet album. Seule une épreuve d’un salon de thé (chaya) du parc d’Ueno servant alcools et bières importées nous donne un aperçu de ce Japon moderne (épreuve no 22, AP15907). A droite de l’épreuve, on aperçoit un jeune japonais élégant en costume et chapeau melon se tenant à côté de son grand bi, une bicyclette importée avec une roue avant d'un très grand diamètre et une petite roue arrière.

Plus globalement dans les albums de la collection du musée Guimet11, on constate que la répartition hommes/femmes sur les épreuves est très déséquilibrée. Le rapport sur l'ensemble de la collection est d'environ 70% de femmes parmi les portraits et les scènes de genre. De l’époque Bakumatsu (1853-1868) à l’ère Meiji (1868-1912) l’image du Japon se féminise graduellement12 dans les albums de photographie touristique. Il faut remarquer par ailleurs que pour des questions d’esthétique et de commodité, la plupart des modèles utilisés par les studios pour les portraits et scènes de genre étaient des geishas13, costumées selon les circonstances en servante, jeunes filles, bourgeoises ou geishas…

L’influence naissante du pictorialisme

Par rapport à Felice Beato ou même aux premiers albums de Kusakabe Kimbei, le décor en studio de Tamamura – sans être parfait14 - est devenu à la fois plus réaliste et plus raffiné. Une atmosphère par ailleurs renforcée par la douceur et la qualité de la mise en couleur.

Le décor de la pièce japonaise de son studio, avec peinture montée sur un rouleau vertical (kakejiku) suspendue au mur, paravent aux motifs floraux et des bouquets de style ikebana avec des fleurs fraîches qu’il utilise pour les scènes de genre (épreuve no 40 AP15925 par exemple) est également mis à profit comme fonds des photographies souvenirs personnelles des visiteurs occidentaux que des assistants habillent en kimono. Ils peuvent également poser dans un jinrikisha avec un tireur.

La qualité de la mise en couleur et des épreuves est inégale mais souvent excellente et détaillée (épreuve no 43 AP15928), parfois un peu sommaire (épreuve no 44 AP15929). On remarque sur ces épreuves l’arrivée des pigments artificiels à l’aniline rouge, vert et orange, produits en Allemagne par BASF, beaucoup plus vifs que les autres pigments naturels utilisés qui parfois déséquilibrent la mise en couleur. Dans l’ensemble celle-ci est bien meilleure que pour les mêmes photographies quand ont été produites en série pour les éditions de Japan15 où les tirages originaux insérés dans les pages manquent de densité et de contraste (défaut lié à l’utilisation de contretypes) avec une mise en couleur moins soignée. Dans ses publicités, Tamamura se vantait d’avoir un coloriste hors pair (parmi sa nombreuse équipe), Shōtarō, qu’il avait débauché chez son rival, Adolfo Farsari. Si la mise en couleur est raffinée elle n’est pas pour autant fidèle. Sur deux épreuves consécutives, avec les mêmes modèles portant les mêmes kimonos le kimono colorié en vert sur la première épreuve (no 41 AP15926) est devenu orange sur la suivante (no 42 AP15927)…

Ce qui caractérise le style des photographies des albums de Tamamura par rapport à celles de son principal concurrent, Kusakabe Kimbei, antérieures d’à peine quelques années, c'est l'usage massif de négatifs-verres au gélatino-bromure d’argent16 pour les prises de vues. Ce procédé se généralisa au Japon à la fin des années 1880. Plus facile à utiliser que les négatifs-verres au collodion humide, moins chers et réduisant considérablement le temps de pose, ils ont permis de renouveler l'esthétique de thématiques inusables (paysages classiques, geishas, bijin…). Toutefois, pour les tirages c’est toujours le papier à l’albumine qui continua à avoir la faveur des photographes commerciaux japonais jusqu’aux années 1890 voire 1900.

On note également un changement progressif dans le style des paysages qui se rapproche de l'esthétique européenne du pictorialisme (épreuve no 2 AP15887), mise à l'honneur par les premiers clubs photo japonais et popularisée par la circulation de revues d'art et par l'organisation en mai 1893 de la première exposition photographique internationale au Japon par la Société Japonaise de Photographie (Nihon Shashin-kai,日本寫眞會)17. Celle-ci incluait 296 photographies des membres du Camera Club de Londres, dont des tirages d’œuvres pictorialistes de Peter H. Emerson et de G. Davidson. L’objectif de l’exposition avait été de présenter les meilleurs travaux d’amateurs produits alors en Europe, mais son extraordinaire succès populaire et les nombreuses critiques favorables démontrèrent que l’intérêt pour la photographie au Japon attirait un public beaucoup plus vaste.

Ainsi, la volonté esthétisante est très présente dans cet album de Tamamura où l'on remarque que certaines épreuves ont été légèrement recadrées en coupant deux centimètres au bas de l'image pour supprimer les cartouches de légende situés en bas à droite et qui sont généralement conservés dans la majorité des albums.

Avec Kusakabe Kimbei, son principal rival dans les années 1880, Tamamura excellait dans le « merchandizing » des épreuves et possèdait un catalogue impressionnant par sa taille et sa diversité. Les portraits de Kusakabe étaient probablement plus intenses et plus diversifiés mais Tamamura réalisait aussi d’harmonieuses fusions entre portrait et paysage en photographiant des scènes de genre en extérieur, comme les geishas sous le pont de Sanjō à Kyōto (épreuve no 10 AP15895) ou les pêcheuses en bord de mer (épreuve no 47 AP15932). Les meilleurs paysages de Tamamura (épreuve no 19 AP15904)18 rivalisaient avec la production propre de Kimbei, mais celui-ci bénéficiait également dans son catalogue de l’ajout d’une partie des excellents fonds d’Uchida Kuichi, dès le début de son studio des années 1880, et de Kajima Seibei après 189519. Tamamura semble de son côté avoir contrôlé seul le développement de son portfolio avant de bénéficier des apports de son fils Kihei20 et de son agent de Kōbe, Takagi Teijirō, au début des années 1900 où il s’imposa comme le plus important studio de photographie du Japon.


Claude Estèbe

Notes

1. BENNETT Terry, Old Japanese Photographs – Collectors’Data Guide, London, Quaritch, 2006.

2. Les studios de Yokohama, dont celui de Tamamura, proposaient alors tous une série d’épreuves de Nectarine no 9, une maison close réputée dans le monde entier, située à Yokohama et également à Kanazawa pour son annexe réservée à la clientèle étrangère à partir de 1882. Les portraits de « filles » de ses établissements apparaissent souvent avec une légende discrète comme « girls » ou « no girls ».

3. Cécile de Rodt, Voyage d'une Suissesse autour du monde, Neuchâtel, F. Zahn, 1904, p. 214.
Ouvrage consultable sur Gallica

4. Données au 21/11/2017, dans la collection du musée Guimet. Notons que le travail d’attribution pour les albums composites est encore en cours et concerne des milliers d’épreuves supplémentaires.

5. Une liaison ferroviaire reliait Kōbe à Ōsaka depuis 1874. A partir de 1877 elle fut prolongée jusqu’à Kyōto.

6. Cécile de Rodt, Voyage d'une Suissesse autour du monde, Neuchâtel, F. Zahn, 1904, p. 174.
Ouvrage consultable sur Gallica

7. Cécile de Rodt, Voyage d'une Suissesse autour du monde, Neuchâtel, F. Zahn, 1904, p. 129.
Ouvrage consultable sur Gallica

8. Avant la restauration de Meiji, le terrain occupé par le parc appartenait au temple bouddhique Kan'ei-ji. Il fut en grande partie détruit dans un incendie lors des combats à Edo entre les troupes impériales et les dernières forces fidèles au shogounat. Une grande partie des terrains du Kan'ei-ji furent annexés par l’Etat au début de Meiji, et transformés en un parc public qui ouvrit en 1873.

9. G. Labit, Au Japon – Souvenirs de voyage, Toulouse, 1890, p. 43.
(réédité en fac-similé par le musée Paul Dupuy à Toulouse en 1993.)

10. Le catalogue du studio de Kusakabe Kimbei proposait en 1892 un choix de plus de 1600 photographies.

11. Environ trois cents albums pour la photographie japonaise ancienne.

12. Sur la fin de la période d'Edo uniquement (Bakumatsu), le rapport tombe à 56% de femmes au lieu de 70% sur l’ensemble.

13. Les geishas étaient des chanteuses et musiciennes professionnelles engagées pour divertir les hôtes lors de banquets privés ou pour des soirées dans les ochaya.

14. Le studio de prise de vue a le sol juste recouvert de nattes (goza), à défaut de tatamis.

15. BRINKLEY F. éd., Japan : Described and Illustrated by the Japanese – written by eminent japanese authorities and scholars – edited by captain F. Brinkley of Tokio Japan. With an essay on Japanese art by Kazuko Okakura director of the imperial art school of Tokio Japan, Boston, J.B. Millet Company, 1897.
Cf. biographie de Tamamura.

16. Les plaques sèches au gélatino-bromure d’argent, qui étaient utilisées en Occident depuis environ 1879 commencèrent à être importées au Japon en 1883.

17. Cette société comptait 171 membres en 1893 dont Ogawa Kazumasa, Kajima Seibei, et Shimooka Renjō et William Kinnimond Burton (1856 - 1899) comme vice président. Le président de la société était le Vicomte Enomoto Takeaki, un homme politique de premier plan.

18. Cette épreuve est reproduite, p. 86 dans l’ouvrage :
Jérôme Ghesquière [éd.], La photographie ancienne en Asie, Paris, Scala, 2016.

19. Plus une partie du fonds Yamamoto. L’attribution des négatifs dans le catalogue de Kimbei, qui fut rappelons-le un négociant en photos souvenirs avant de redevenir photographe (il avait été l’assistant de Beato et Stillfried), reste encore à faire…

20. En 1916, il céda la direction de son studio à son fils aîné, Tamamura Kihei (玉村騎兵衛, c. 1880-1951), qui devint un photographe pictorialiste renommé.