Uchida Kuichi

Tōkyō, Mukojima, Jardin du prince Hotta


Commentaire

Cette épreuve n’a pas de titre inséré dans l’image, contrairement à la quasi-totalité des épreuves de paysages de cet album. Il s’agit du jardin Shichishōen (七松園) 1 à Mukojima (向島) de la résidence à Tōkyō de la famille Hotta (堀田), anciens daimyō du fief de Sakura. Cette résidence leur a appartenu de 1868 à 1887 2 . Le jardin, promenade de style « kaiyūshiki » (回遊式) avait son étang alimenté en eau par la rivière Sumida dont il subissait les marées. Il était connu comme l’un des plus beaux jardins de Tōkyō et cette photographie et une autre de la même série ont été reproduites dans le supplément illustré de Landscape gardening in japan de l’architecte anglais Josiah Conder publié en 1893 par Ogawa Kazumasa 3 . Les personnes qui posent pour la photographie sont probablement des membres de la famille Hotta.

Bien que ce paysage s'insère harmonieusement dans la série de cet album de Tamamura, quand on regarde l'épreuve attentivement des détails étonnent. Alors que le groupe sur la gauche du pont, de deux femmes et un enfant pose de manière « naturelle » et harmonieuse, à l'arrière-plan, sur le pont en pierre un jeune homme regarde fixement le photographe, les poings sur les hanches. Ce genre de pose rappelle plus le style des premiers photographes du début de Meiji (1870-1875) que la photographie touristique des Yokohama shashin des années 1890.

Une recherche complète dans la collection japonaise de Guimet nous apprend que vingt-trois exemplaires différents de cette épreuve sont conservés au musée, dont un seul exemplaire n’est pas colorié (dans l’album no007, de Kusakabe Kimbei). Bien que de nombreuses photographies touristiques se retrouvent en plusieurs exemplaires dans la collection, la fréquence de cette photographie peu connue est anormalement élevée, probablement la plus forte occurrence de la collection. Elle est ainsi présente dans cinq albums de Kusakabe Kimbei 4 , cinq albums de Tamamura 5 , un album de Farsari 6 et onze albums composites 7 . On remarque également qu’une autre photographie du même jardin, faisant partie originellement du même reportage apparaît également dans quinze albums de la collections de Guimet 8 .

Cette épreuve est donc présente simultanément dans des albums des trois grands studios rivaux des années 1880 : Kimbei, Tamamura et Farsari. Dans les albums de ces trois photographes, contrairement à la quasi-totalité des épreuves de paysages, elles ne comportent pas le cartouche du photographe, confirmant une provenance extérieure. Il existe une troisième photographie du jardin Hotta provenant du même reportage dont un exemplaire non colorié apparaît dans un album daté de… 1874 9 , il s’agit en fait d’une photographie d’Uchida Kuichi. D’après un album de la collection Rosin conservée au Museum of Fine Arts de Boston, cette photographie d’Uchida, serait même de 1872.

Terry Bennett avait déjà souligné que les premiers albums du studio de Kusakabe Kimbei contenaient une part importante (mais non encore attribuée) de paysages pris par Uchida. Par contre cette image est la première occurrence connue d'une épreuve d’Uchida dans un album de Tamamura ou de Farsari…

Pourquoi cette photographie a-t-elle été si souvent reproduite ? En fait, au moment où elle apparaît dans différents albums de Yokohama Shashin, le jardin n’existait plus dans sa splendeur initiale. En effet, cette résidence et son jardin appartenaient à Hotta Masatomo (堀田正倫, 1851-1911) le quatrième fils de Hotta Masayoshi (堀田 正睦, 1810-1864), un puissant rojū (membre du conseil du shōgun) qui avait joué un rôle important dans les négociations du shogounat avec Perry en 1854 pour la signature du traité Harris. Masatomo fut le dernier daimyō du fief de Sakura avant la restauration de meiji. Il avait soutenu le shogounat jusqu’au bout mais le nouveau régime lui pardonna et lui donna le titre de comte dans la nouvelle noblesse (hakushaku 伯爵) mais en contrepartie il avait eu l’obligation de s’installer à Tōkyō dès 1868. Ce jardin faisait partie de sa nouvelle résidence détachée à Tōkyō. Dès qu’il eut l’autorisation de revenir s’installer dans son ancien domaine, il s’y fit construire une nouvelle résidence 10 et se sépara de la résidence de Tōkyō et de son jardin. La famille Hotta a quitté la résidence en 1887. En 1900, le terrain a été racheté et réaménagé par la brasserie Sapporo. On trouve aujourd’hui à son emplacement l'immeuble Asahi Beer et des bureaux de l'arrondissement de Sumida. Josiah Conder écrivait déjà en 1893 :

« Until recent years the Hotta-no-Niwa, a Tokio garden belonging to the Daimio of Sakura, in the province of Shimosa, was one of the most elaborate city gardens. Unfortunately it no longer exists, having been broken up and the material conveyed elsewhere. »

Cette superbe vue était donc une des seules de ce jardin. Uchida mourut prématurément en 1875 et la loi sur les copyrights ne fut publiée au Japon qu’en 1877. Ultérieurement, les différents studios de Yokohama ne se privèrent pas de publier à leur compte cette image orpheline mais hésitèrent à y insérer le cartouche de leur studio…

Notes

1. Soit « le jardin des sept pins ».

2. Le mon (blason) de la famille Hotta, une fleur stylisée de cognassier du Japon (mokkō 木瓜), est visible sur une bannière en haut à gauche de la photographie.

3. On trouve une description et un plan du jardin dans l’article suivant : ECCLES Charles, « Josiah Conder’s Lost Hotta Garden », in Shakkei – the Journal of the Japanese Garden Society. Vol. 23, No. 4, Spring 2017.

4. Cf. épreuves : 007_31, 024_32 / 024_67, 025_05, 034_15, 035_37.

5. Cf. épreuves : 15911, 049_09, 050_03, 054_04, 130_11.

6. Cf. épreuve 044_04.

7. Cf. épreuves 015_23, 037_29, 082_23, 107_26, 120_19, 139_04, 148_27, 150_39, 155_30, 160_21, 290_252.

8. Cinq albums de Tamamura (cf. épreuves 052_18, 056_41, 057_40, 069_04, 089_05) et dix albums composites (cf. épreuves 018_51, 086_07, 107_27, 148_28, 160_08, 225_03, 291_121, 291_91, 10584, 11008).

9. Album de George Arnold Escher de son voyage au Japon (1873-1874). Collection privée.

10. Cette nouvelle résidence avec un jardin « hybride » de « style Meiji » fut achevée en 1890, elle existe encore et se visite. Son jardin a été classé en 2015 dans la liste des « natural beauty spot of country » par le conseil de la culture du gouvernement japonais.


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