Apollinaire Le Bas

Daimyō en armure de guerre tirant à l'arc JAPON Guerrier Japonais (La figure est couverte de Masque de guerre)


Inscription , au dessus et au dessous de la photographie, sur le support

JAPON
Guerrier Japonais
(La figure est couverte de Masque de guerre)


Commentaire

Cette rare composition d’un samouraï en armure de guerre complète tirant à l’arc est l’œuvre la plus connue d'Apollinaire Le Bas. Elle a été récemment reproduite dans plusieurs ouvrages 1 mais cette photographie n'a pas circulé au xixe siècle contrairement aux portraits de samouraïs de Beato, largement diffusés dans ses albums et reproduits en gravures dans de nombreux journaux et ouvrages.

Ce samouraï en armure est fixé bandant un arc de guerre au moment où il va décocher la flèche. Cette position, en kyūdō, est appelée Kai (会). Dans cette pratique, elle montre « l'harmonie, l'unité entre le lieu, le corps, l'esprit, l'arc, la flèche et la cible. Le tireur continue le mouvement commencé dans la phase précédente. L'archer semble faire une pause pour viser, en réalité il maintient l'extension du corps et de l'esprit dans toutes les directions pour créer une unité entre le corps, l'esprit, le cœur, l'arc, la flèche, la cible 2 … »

C'est dans cette image que le protocole artistique de Le Bas, de retoucher fortement ses photographies par des repeints à l'encre avant de contretyper et de retirer l'épreuve, atteint sa plénitude artistique. Le détourage renforce la composition déjà structurée et graphique. Cette composition est le premier exemple, à notre avis, de japonisme abouti en photographie…

Ce portrait fait partie d'une série de quatre portraits successifs de deux modèles distincts de samouraïs en armure 3 présentant leurs différentes armes : arc, katana et lance. Le Bas a partiellement redessiné à l'encre les épreuves originales avant d'effectuer des retirages et a effacé l’arrière-plan en le repeignant.

On connaît également une aquarelle de 1864 d'Alfred-Victor Roussin (1839-1919) 4 , conservée au Service Historique de la Défense à Vincennes 5 , qui servit durant la même mission également sur la Sémiramis, représentant le même personnage dont le cimier du casque est caractéristique et ayant pour titre « daimio en armure de guerre ».

L'aquarelle de Roussin, nous apprend que ce guerrier est un daimyō, un seigneur féodal. Il porte une armure de type kozane composée de petites languettes de cuir et de fer assemblées qui indiquent le haut rang de ce guerrier. La hauteur du cimier de l’ornement central (maedate) du kabuto montre que c'est un casque d'apparat plutôt qu'un casque de guerre. Sur l'aquarelle le mon (armoirie), en forme de croix est présent sur les ailettes du casque et sur les gantelets de l'armure et il est visible également sur le gantelet droit du samouraï dans la photographie. Ce mon, appelé en japonais kiritake yahazu jūji (切竹矢筈十字) que l'on pourrait traduire par « croix en empennages de flèches 6  ». C'est le mon de la famille Nose (能勢), descendants d'un daimyō chrétien qui avait son château à Maruyama durant l'époque Sengoku (c. 1467-1603) et qui s'installèrent ensuite au château de Jiō (Jiō jinya 地黄陣屋), situé entre Kyōto et Ōsaka et dont tous les lignages, à la fin de l'époque Edo étaient hatamoto, distinction réservée aux alliés proches du shōgun. Rappelons qu'à l'époque Bakumatsu (1853-1868), le château d'Osaka était toujours contrôlé par le shōgun et d'accès facile en bateau depuis Yokohama. Un bushi de clan Nose, Nose Ōsumi no kami Yoriyuki (能勢大隅守頼之), fut d'ailleurs nommé au poste stratégique de préfet (bugyō) de Nagasaki en 1866.

Le Bas a effacé le fond de la photographie mais il ne nous aurait probablement pas appris grand chose car cette série a dû être réalisée en studio. Un détail troublant le prouve : l'arc est composé de deux morceaux assemblés au dessus de la main, ce qui est impossible du point de vue structurel pour un arc puissant. Au moment du tir, le sommet d'un arc japonais déployé est à plus de deux mètres de hauteur. Il devait toucher le plafond du studio et pour montrer le geste, un arc « bricolé » raccourci a probablement été utilisé en studio. D'ailleurs dans les photographies d'archer japonais de Felice Beato 7 , prises en studio, l'archer est toujours à genou et… l'arc est d'une seule pièce.

Cette série de portraits a probablement été prise après le retour de l'expédition de Shimonoseki quand les relations avec le shōgun s'étant amélioré, celui-ci organisa en remerciement une journée de parade militaire des troupes japonaises des environs de Yokohama dans la cour d’un château voisin, événement signalé par Alfred Roussin qui décrit des « guerriers revêtus de leurs costumes de combat ». Il n'a pas daté l'événement mais aurait réalisé ses aquarelles à cette occasion 8 .

Notes

1. Par ordre de publication chronologique :
WORSWICK Clark, Japan, Photographs : 1854-1905, États-Unis, Pennwick Publishing Inc, Alfred A. Knopf Inc, 1979, p. 95.
DU CASTEL Didier, DAUDIER François, ESTEBE Claude, Les Derniers samouraïs, Paris, Marval, 2001, p. 81.
ESTEBE Claude, GHESQUIERE Jérôme, MAKARIOU Sophie, Musée national des arts asiatiques – Guimet, Photographic collection, Samurai 侍, portfolio en collotypie, livret (trilingue français/anglais/japonais), Kyōto, Benrido Atelier, 2015, p. 8, planche III.
KYOTOGRAPHIE [éd.], Kyotographie international photography festival 2015, (bilingue anglais/japonais), Catalogue d'exposition, Kyōto, 2015, p. 15.
GHESQUIERE Jérôme [éd.], La photographie ancienne en Asie, Paris, Scala, 2016, p. 92.

2. D'après : All Nippon Kyudo Federation (A.N.K.F.), Kyudo Manual Volune I – Principles of Shooting (shahō) (revised edition), Tokyo, Photo-Press Kimura Kitaku, 1994, p. 67.

3. Cf. épreuves 15 et 16, 17 et 18 de l'album.

4. Alfred-Victor Roussin (1839-1919), commissaire au service de la Marine Impériale, fut le secrétaire du contre-amiral Jaurès à bord de la Sémiramis. Il rédigea l’ouvrage Une campagne sur les côtes du Japon dans lequel il raconte la campagne que mena la Sémiramis de 1862 à 1864. Roussin, qui fréquentait le photographe Felice Beato et le peintre Charles Wirgman à Yokohama, réalisa également de nombreuses aquarelles de son séjour au Japon.

5. Reproduite dans : POLAK Christian, Lys et Canon, Images et correspondances retrouvées (1860-1900), Tōkyō, Chambre de commerce et d'industrie française du Japon, 2013, p. 191.

6. Littéralement croix (jūji) en forme d'empennage / encoche de flèches (yahazu) en bambou taillé (kiritake).

7. Felice Beato, archer, 1863, collection Getty Museum.
Reproduit dans : LACOSTE Anne, Felice Beato: a photographer on the Eastern road, Los Angeles: Getty Publications, 2010, plate 51.

8. On peut donc dater cet épisode entre septembre 1864 et février 1865, du retour de l'expédition de Shimonoseki au départ de Le Bas.
Cf. KESTELOOT Thomas, L’album de photographies de Jules Félix Apollinaire Le Bas conservé au musée Guimet : le rare témoignage d’un photographe méconnu, Mémoire d'étude (1re année de 2e cycle), sous la direction de Mme Dominique de Font-Reaulx, Paris, École du Louvre, 2015, p. 44.


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