Ichida Sōta

Rizière sèche, devant un village


Commentaire

Dans cette belle composition de paysage rural, nous apercevons une rizière sèche (kanden 乾田) 1 qui vient d'être récoltée. Les plants de riz coupés ont été disposés en gerbes pour le séchage. En deuxième plan, un village aux toits de chaume apparaît devant un paysage de montagne pittoresque. Une scène caractéristique du Japon rural mais dont le lieu n'a pas pu être identifié.

C'est cette photographie qui nous a mis initialement sur la piste d'une attribution de cet album – ne comprenant ni indication d'auteur, ni date, ni légendes – à Ichida Sōta, photographe japonais encore peu étudié dont on ne connaît encore que quelques photographies. En effet, un détail détonne dans cette image. Ce sont les deux personnages qui animent cette scène. Un personnage sur la droite, appuyé à un pin, semble contempler « sa » récolte en nous tournant le dos. L'autre, à gauche de l'image, fixe l'objectif en s'appuyant sur une meule de riz. Toutefois, il ne s'agit pas de paysans, les vêtement ne correspondent pas. Les deux portent une veste courte appelée happi, réservée aux commis et à certaines professions (comme pompier). Il s'agit probablement des assistants du photographe, alors nécessaires pour l'aider à porter le lourd matériel de prise de vue et la chambre de développement portative indispensable avec le procédé au collodion humide. En zoomant dans l'image, à l'instar du photographe incarné par David Hemmings dans Blow-Up d'Antonioni en quête d'indices dans une image apparemment anodine, on arrive à lire, sur le revers à notre droite du happi du personnage de gauche, deux kanji : 市田, soit Ichida, pour Ichida Sōta. Effectivement, au début des années 1870, Ichida faisait parfois poser ses assistants pour inclure sa « signature » dans la photographie 2 . Sur le revers gauche de leur happi il avait fait inscrire 市田 (Ichida), son nom de famille et sur le revers droit 新港 (Shinkō), soit « le nouveau port », expression désignant le port de Kōbe (Hyōgo) qui venait d'être créé pour accueillir une concession internationale et où Ichida, quittant Kyōto, venait d'installer son nouveau studio en 1870 pour profiter de cette opportunité. Ichida avait même fait coudre sur le dos des happi de ses assistants un tissu blanc rectangulaire sur lequel était inscrit Ichida Photographer en caractères romains. Toutefois, en 1872, il réalisa que ces artifices étaient un peu trop perturbants pour la lecture de ses photographies et arrêta d'insérer ces « homme-sandwich » dans ses prises de vues. Il alla même plus loin, en effaçant sur ses négatifs-verres les textes inscrits dans le dos de ses assistants, pour les retirages ultérieurs de ses photographies. Ainsi, sur cette épreuve, au dos de l'assistant situé à droite, on distingue nettement le rectangle blanc dont le texte a été effacé. Cette épreuve est donc postérieure à 1872 3 .

Dans l'album, cette vue de taille moyenne, est collée sur la même page que la suivante (cf. 10559).

Notes

1. Les rizières dites sèches (kanden 乾田) sont irriguées mais sont asséchables à volonté, ce qui leur donnent de meilleurs rendements de riz et permet de les labourer avec des animaux de trait. Avant leur apparition, les rizières étaient toute l’année inondées (shitsuden 湿田).

2. La librairie Yushōdō (雄松堂) de Tōkyō avait ainsi proposé, il y a une dizaine d'années, dans un de ses catalogues, quelques épreuves d'Ichida de ce style, dont une vue du Kinkaku-ji. Voir également :
BENNETT Terry, Photography in Japan 1853-1912, Tokyo, Tuttle Publishing, 2006, p. 184.
SUCHOMEL Filip, SUCHOMELOVA Marcela, Journal of a voyage: the Erwin Dubský Collection: photographs from Japan in the 1870s, Brno, The Moravian Gallery in Brno, 2006.

3. Par contre sur l'épreuve 10556, bien que le texte ne soit pas lisible car l'homme est quasiment de profil, on distingue clairement (à la loupe) qu'il y a quelque chose d'écrit sur le dos de son happi.


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