Biographie de Felice Beato
Felice Beato (1832-1909) est une figure majeure de la photographie au Japon au xixe siècle mais c'est également l'un des grands pionniers de reportage de guerre. Avant son arrivée au Japon il avait déjà couvert plusieurs guerres au coté de l'armée britannique (Crimée, révolte des cipayes en Inde, deuxième guerre de l'Opium). Il prit la première photographie de cadavres sur un champ de bataille et le premier portrait d'un prince chinois.
Il a produit la plus importante collection de portraits de samouraïs pris au Japon et une impressionnante série de paysages et de panorama de grand format.
Par la qualité et la variété de sa production, il va dominer la photographie au japon à l'époque Bakumatsu (1853-1868) mais contrairement à ce qui a parfois été écrit il n'a pas introduit la photographie au Japon, ni formé les premiers photographes japonais1 – qui étaient déjà là à son arrivée. On continue à lui attribuer à tort de nombreuses photographies qui ne sont pas de lui. A son arrivée à Yokohama en 1863 il y a déjà de nombreux photographes professionnels japonais et occidentaux travaillant au Japon.
Après avoir documenté frénétiquement le Japon de 1863 à 1868 et finalisé la publication complète des deux tomes de Views of Japan en 1868, il semble se désintéresser de la photographie, même s'il demeure au Japon jusqu'en 1884, gérant de loin son studio et se consacrant à la spéculation financière et immobilière.
Felice Beato, photographe italien et britannique, est né en 1832 à Corfou, alors dans la république de Venise, et a été naturalisé anglais en 1850.
En 1853, Felice Beato s'associe avec son beau-frère, le célèbre photographe James Robertson et ils forment un partenariat nommé « Robertson & Beato », pour un studio photographique à Constantinople (Istanbul). En 1855, Felice Beato et Robertson partent pour Sébastopol où ils couvrent la guerre de Crimée à la suite du départ de Roger Fenton. Beato, assistant de Robertson, aurait ainsi pris de nombreuses photographies alors attribuées à celui-ci. Un témoignage exceptionnel de l’époque par le capitaine et peintre de guerre français Jean-Charles Langlois (1789-1870) qui l’a rencontré lors du siège de Sébastopol précise cet aspect2 :
« M. Robertson est venu déjeuner chez le maréchal. Je dois dire son beau-frère, M. Beati ou Beato Corfioti3 travaillant en son lieu et place ; il était à mon coté à table. Je l’ai fait causé autant que j’ai pu sur ses moyens accélérateurs, mais je ne crois pas qu’il m’ait tout dit, car selon lui il ne se servirait que de l’albumine sensibilisée par une plus grande proportion de nitrate et d’acide gallique : au lieu de bains au dixième, il seraient au cinquième, au quart, au tiers, à moitié selon la qualité des eaux. Les dernières mesures seraient nécessitées par la mauvaise nature de celles d’ici. Aussi a-t-il été fort sensible au cadeau que je lui ait fait de deux bouteilles d’eau distillée4. »
Langlois, qui l’a vu ensuite travailler dans les conditions de prise de vue exécrables de Sébastopol, mêlant froid et manque de lumière, doit reconnaître la virtuosité technique de Beato :
« Il était arrivé avec un soleil pâle qui n’a pas tardé à disparaître entièrement pour finir par la pluie. Il a opéré quand même et il a emporté une vue du quartier général en une minute, un portrait du maréchal en 10 secondes, un autre en 12, et enfin un groupe par la pluie en 4 secondes. […] Certes ce M. Beato n’est pas artiste. Sa vue du quartier général n’aura aucun effet, mais enfin il obtient quelque chose quand M. Méhédin [le photographe assistant Langlois] n’ose pas même essayer un tâtonnement5. »
On note les temps de pose rapides pour l’époque dans des conditions aussi difficiles et le peu de considération d’un peintre d’histoire pour les photographes.
En février 1858, Felice Beato voyagea à travers toute l'Inde du nord pour documenter les conséquences de la Révolte des Cipayes de 1857.
Son frère, Antonio, qui l'avait rejoint en Inde fut ensuite photographe en Egypte en 1862 où il photographia en 1863 la deuxième mission diplomatique du Bakufu en Europe posant devant le Sphinx.
En 1860, Beato couvre l'expédition franco-britannique en Chine (Seconde guerre de l'opium). A Hong Kong, Beato rencontra Charles Wirgman (1832-1891), un artiste correspondant du journal The Illustrated London News. Ils accompagnèrent tous deux les forces franco-anglaises jusqu'à Pékin où Beato réalise un reportage sur la prise des forts de Taku. Il documente également les ruines du Palais d'été, incendié et pillé par les forces franco-anglaises les 18 et 19 octobre 1860. A l'occasion de la signature de la convention de Pékin, il réussit le premier portrait du prince Gong.
Après un séjour en Angleterre il se rend à Yokohama en 1863 pour rejoindre Charles Wirgman, déjà sur place depuis 1861. Les deux forment un partenariat nommé Beato & Wirgman, Artists and Photographers qui durera de 1864 à 18676. A peine arrivé, Beato effectue plusieurs reportages en suivant Aimé Humbert, ministre plénipotentiaire de la Confédération Suisse envoyé au Japon pour négocier un traité d’amitié et de commerce avec le gouvernement japonais. Accompagner Humbert est une aubaine pour Beato qui photographie ainsi Edo, capitale alors accessible uniquement aux agents diplomatiques. Humbert publie un récit de son long séjour, Le Japon Illustré, prépublié dans la revue Le Tour du monde à partir de 1866. Il inclut des dizaines de reproductions en gravures de photographies de Beato, aussi bien de portraits que de paysages.
En septembre 1864, Beato est le photographe officiel des britanniques lors de l'expédition militaire de Shimonoseki. Le 26 novembre 1866, lors de l'incendie qui détruit une grande partie de Yokohama, Beato perd son studio et ses négatifs ; il passe les mois suivants à travailler sans relâche pour refaire son portfolio. Il est l'un des premiers à faire colorier ses scènes de genres par des artistes locaux mais ses paysages ne sont pas coloriés. Il est également le pionnier de la vente des photographies pour les voyageurs sous forme d'albums présentant successivement "costumes" et paysages, une forme qui deviendra la norme des Yokohama shashin – photographies touristiques vendues à Yokohama. Ses photographies circulent largement sous forme d'albums mais sont également reprises dans le monde entier, sous forme d'illustrations gravées, dans de nombreuses revues et livres. Le plus connu est Le Japon Illustré d'Aimé Humbert (1868) qui fut également publié en version anglaise mais on peut également citer Le costume historique, publié en France entre 1876 et 1888 par Auguste Racinet, ouvrage monumental qui couvre l’histoire mondiale du costume en six tomes, où les planches gravées polychromes de costumes du Japon reprennent une sélection de portraits de Felice Beato et Raimund von Stillfried.
En 1871, Beato est le photographe officiel de l'expédition navale américaine en Corée. En 1877, Beato vends l'essentiel de son stock et son studio sur le Bund à la firme Stillfried and Andersen7, et se recentre sur son activité de négociant. Le 29 novembre 1884, Beato quitte définitivement le Japon, ruiné par ses spéculations. Fin 1884 il accompagne le corps expéditionnaire du Baron Wolseley envoyé à Khartoum au Soudan secourir le général Gordon. En 1886, il s'installe en Birmanie où il exploite un studio photographique à Mandalay ainsi qu'une boutique de meubles et de curiosités dont il ouvre une succursale à Rangoon en 1895. Il rentre en Europe peu avant son décès, à Florence, le 29 janvier 1909.
Références :
BENNETT Terry, Photography in Japan 1853-1912, Tokyo, Tuttle Publishing, 2006.
DOBSON Sebastian, « Yokohama Shashin », in Art & Artifice: Japanese Photographs of the Meiji Era – Selections from the Jean S. and Frederic A. Sharf Collection at the Museum of Fine Arts, Boston, Boston: MFA Publications, 2004, 15-28.
GESTEBE Claude, Le premier âge d’or de la photographie au Japon (1848-1883), Thèse de doctorat en langue & civilisation japonaise, sous la direction de Pierre-François Souyri, Paris, INALCO, 2006.
GARTLAN Luke, « BEATO, Felice », in HANNAVY John, Encyclopedia of nineteenth-century photography, New York ; London : Routledge, 2008, p. 128- 131.
LACOSTE Anne, Felice Beato : a photographer on the Eastern road, Los Angeles : Getty Publications, 2010.
MARBOT Bernard, Objectif Cipango, Paris, Bibliothèque Nationale / Paris Audiovisuel, 1990.
Claude Estèbe
Notes
1. Il a cependant eu pour assistant Kusakabe Kimbei qui ouvrit ensuite un studio prolifique.
2. Langlois était allé en Crimée pour préparer un panorama sur la prise de Sébastopol à la demande de Napoléon III. Peintre militaire et polytechnicien, il désirait prendre des photographies comme repérages de son futur panorama. Il avait engagé pour cela un photographe, Méhédin, élève du prestigieux Gustave Le Gray, mais celui-ci n’arriva pas a réaliser de photographies correctes dans ces conditions extrêmes. Langlois chercha alors à rencontrer Robertson. En fait Robertson n’était pas revenu en Crimée et avait envoyé Beato à sa place :
« […] le personnage n’était point Robertson lui-même, mais son premier élève, UN AUTRE LUI-MEME. […] On ajoutait même que ce dernier était l’auteur des photographies faites en Crimée sous le nom de son patron ; ce que j’en ai vu ne fait honneur ni à l’un ni à l’autre. Quand à mon retour j’annonçais ce que j’avais appris, on fut peu flatté de ces tours de rapin qui frisent un peu la canaille. »
Lettre de Langlois du 30 avril 1856. Reproduite dans :
Jean-Charles Langlois, La Photographie, la peinture, la guerre : correspondance inédite de Crimée, 1855-1856, Ed. François Robichon, André Rouillé, Nîmes, J. Chambon, 1992, p. 232.
3. Cette mention dans cette lettre est le premier indice qui a permis de laisser penser que Beato était natif de Corfou et de retrouver son acte de naissance.
4. Ibid. p. 234, lettre datée du 3 mai 1856.
5. Ibid. p. 234, lettre datée du 3 mai 1856.
6. Un point méconnu de leur association est que Beato et Wirgman avait ouvert un café dans leur atelier de Yokohama. Officiers français et britanniques s'y retrouvaient le soir pour boire un bière ou un alcool. Le dessinateur français Alfred Roussin était de cette bande.
Cf. Christian Polak, Lys et Canon, Images et correspondances retrouvées (1860-1900), Tokyo, Chambre de commerce et d'industrie française du Japon, 2013, p. 174.
7. Stillfried and Andersen vendirent ensuite le stock à Franz Stillfried en 1883 qui le revendit à Adolfo Farsari en 1885.
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